Le confinement imposé par la COVID 19 a transformé nos vies, nous plongeant dans une réalité sanitaire exceptionnelle. Une réclusion que bon nombre d’écrivains ont vécu. Certains d’entre eux se sont invités à notre salon littéraire, le premier depuis le déconfinement . Ces auteurs ont vécu un enfermement choisi ou contraint par la menace d’un monde extérieur, par leur propre maladie ou par l’emprisonnement.
Renée Vivien, Anna de Noailles, Marcel Proust, Joë Bousquet et Xavier de Maistre ont fait l’objet d’une présentation, par Marie Vermunt, de cet aspect de leur vie.
Puis, dans un second temps, les participants à ce salon ont partagé leurs découvertes et leurs créations littéraires nées de ce confinement.
RENEE VIVIEN
une atmosphère mystique et raffinée
Renée Vivien n’a-t-elle pas évoqué dans son magnifique poème Intérieur l’atmosphère mystique de son appartement parisien de l’avenue du bois dans lequel elle s’était recluse
Intérieur
Dans mon âme a fleuri le miracle des roses
Pour le mettre à l’abri, tenons les portes closes.
Les rideaux sont tirés sur l’odorant silence,
Où l’heure au cours égal coule avec nonchalance.
Notre chambre paraît un jardin immobile
Où les parfums errants viennent trouver asile.
Pour garder cette paix faite de lueurs roses,
O ma Sérénité ! Tenons les portes closes.
La lampe veille sur les livres endormis
Et le feu danse, les livres sont nos amis.
Oui, les chuchotements ont perdu leur venin,
Et la haine d’autrui n’est plus qu’un mal bénin.
Ta robe verte a des frissons d’herbes sauvages,
Mon amie, et tes yeux sont pleins de paysages.
Loin des pavés houleux où se fanent les roses,
Où s’éraillent les chants, tenons les portes closes
ANNA DE NOAILLES
recluse dans sa chambre aux cretonnes
C’est au 40, rue Sheffer qu’Anna de Noailles installa sa chambre aux cretonnes. Une porte capitonnée donnait accès à cette retraite tapissée de liège pour se protéger des bruits domestiques. Sur le liège des cretonnes à lignes et à bouquets bleus s’harmonisaient avec les meubles Louis XV rechampis de bleu. La toile imprimée choisie ici recrée le cadre à la fois paisible et raffiné dans lequel Anna de Noailles aimait à se retrouver.
Étendue sur son lit, toute petite et menue dans ses écharpes de mousseline, au milieu de coussins soyeux, elle recevait, travaillait, composait. Un grand livre plat, Vieilles Chansons pour les cœurs sensibles (Plon, 1911) lui servait de sous-main. Sur les deux tables gigognes utilisées en tables de chevet s’entassait le désordre familier des objets et livres indispensables : étui à lunettes surAnna de Noailles, un tome de Hugo, bouilloire sur un volume de Montaigne… Au mur, deux compositions florales exécutées par Anna de Noailles. Le pastel ne fut jamais pour l’écrivain qu’un dérivatif, un passe-temps. Pourtant en juin 1927, la comtesse Greffulhe lui organisa une exposition à la galerie Bernheim : les pastels s’arrachèrent, tandis qu’Anna de Noailles, flattée mais lucide, considérait l ‘événement comme la plus vaste escroquerie du siècle…
Ce décor somme toute modeste a nourri vingt ans durant les rêves et le labeur acharné de la poétesse : son œuvre ne compte pas moins de dix-sept volumes.
Mais l’exubérance de la » muse des jardins » ne doit pas faire oublier l’écrivain reclus, miné par la maladie nerveuse et la révolte.
MARCEL PROUST, confiné volontaire
et fils d’un éminent spécialiste des épidémies
Marcel Proust a passé une partie de sa vie reclus en raison de sa santé fragile et pour terminer A la recherche du temps perdu, roman dans lequel il parle d’Illiers-Combray. Une ville où est né son père, devenu un des plus grands spécialistes des maladies infectieuses de l’époque.
Le Docteur Proust va devenir à la fin du XIXe siècle un expert reconnu internationalement sur les questions d’hygiène et les maladies infectieuses, et conseiller du gouvernement pour la lutte contre les épidémies. Il va d’ailleurs donner son nom à une rue de sa ville natale. Cet agrégé de médecine n’hésite pas à se rendre dans plusieurs pays pour constater la propagation des épidémies sur place, comme le choléra ou la peste. En 1873, il écrit d’ailleurs un essai remarqué : Sur l’hygiène internationale, applications contre la peste, la fièvre jaune, le choléra asiatique. Il n’a certes pas inventé la quarantaine, mais théorisé le cordon sanitaire moderne.
On ne s’étonnera pas, que, ayant passé son enfance dans ce contexte hautement hygiéniste, le fils de ce médecin Marcel Proust ait fait la choix d’une vie confinée et aseptisée. Il désinfectait son courrier au formol
« Marcel Proust avait la hantise de la contagion, raconte Luc Fraisse (professeur de littérature française, président du Printemps Proustien qui vient de publier Souvenirs de lecture, de Jeanne Proust) . Quand il recevait son courrier, il le faisait désinfecter au formol avant d’y toucher. On imagine donc l’inquiétude, pour ne pas dire l’angoisse, dans laquelle il aurait plongé en entendant dire qu’il y avait un virus extraordinairement contagieux.«
Mais « il aurait aussi remarqué avec humour qu’il était l’un des seuls pour qui le confinement ne changeait rien », nuance le professeur de littérature.
- Dernière chambre de Marcel Proust. Au mur sont accrochés les brouillons de sont oeuvre « A la recherche du temps perdu »
Il commence à s’enfermer 15 ans avant sa mort. En effet, le célèbre écrivain français, qui a passé plusieurs fois ses vacances de Pâques à Illiers-Combray chez sa tante Léonie dont il s’inspire pour le début de La Recherche, a surtout vécu une partie importante de son existence enfermé chez lui, à Paris.
Son retrait de la vie sociale commence en 1907 : après avoir perdu son père puis sa mère, « il a été déprimé et a même fait un séjour en clinique pour soigner sa dépression », rappelle Jérôme Bastianelli. « C’est à partir de ce moment-là qu’il commence à écrire A la recherche du temps perdu et à limiter ses sorties. »
Le confinement n’est pas absolu puisqu’il sort de temps en temps et fait plusieurs séjours hors de la capitale notamment à Cabourg. « Mais c’est vrai qu’à partir de 1914 et du début de la guerre, il ne quitte quasiment plus Paris, et dans Paris il sort de moins en moins », ajoute-t-il.
JOË BOUSQUET, mystique de la lumière
Pendant la Première Guerre mondiale, le 27 mai 1918, âgé de 21 ans, Joë Bousquet est grièvement blessé lors du combat de Vailly : il est atteint à la colonne vertébrale par une balle allemande. Paralysé à hauteur des pectoraux, il perd l’usage de ses membres inférieurs. Il demeurera alité le reste de sa vie, au 53 rue de Verdun à Carcassonne, dans une chambre dont les volets seront fermés en permanence. Il écrira à propos de sa blessure :
« Ma blessure existait avant moi, je suis né pour l’incarner. »
Pour connaître mieux l’écrivain Joë Bousquet et son oeuvre :
XAVIER DE MAISTRE
Le voyageur immobile
Il est très-sûr, me disais-je, que les murs de ma chambre ne sont pas aussi magnifiquement décorés que ceux d’une salle de bal : le silence de ma cabine ne vaut pas l’agréable bruit de la musique et de la danse ; mais, parmi les brillants personnages qu’on rencontre dans ces fêtes, il en est certainement de plus ennuyés que moi.
Au moment de la rédaction de ce récit, Xavier de Maistre, né d’une famille de Savoie, est alors militaire, assigné à résidence pendant quarante-deux jours à Turin, pour une affaire de duel interdit. Tel un dandy qu’il n’est pas, il décrit sa mise en quarantaine avec beaucoup de légèreté, y voyant l’occasion de se découvrir lui-même. Détestant la ligne droite, il privilégie le voyage en zig-zag dans un local exigu. Malgré son intention de gagner sa porte en diagonale, il rencontre son fauteuil en chemin : « je ne fais pas de façon, (…) c’est un excellent meuble qu’un fauteuil. Il est surtout de la dernière utilité pour tout homme méditatif. »
Car son texte est une ode à la méditation, un plaidoyer pour l’indécision, une critique des planificateurs : même dans un espace contraint, l’imagination choisit de vagabonder, la mémoire nous joue des tours. Une chambre, si petite soit-elle, recèle des potentialités inconnues. Chacun des objets qui y a pris place devient une source de réflexion et de rêverie.
De Maistre écrit bien avant le romantisme officiel, mais toutes ses composantes sont déjà là : goût pour l’intimité, plaisir de se découvrir comme individu, capacité à l’imagination. Il ne veut pas « suivre les idées à la piste, comme un chasseur poursuit le gibier » mais »cultiver une âme ouverte à toutes sortes d’idées, de goûts et de sentiments. » Ce Voyage autour de ma chambre se veut ainsi, de manière ironique, un manuel pour apprendre à faire voyager son âme toute seule, pour ainsi « doubler son existence ».
Bien plus loin que les murs de sa chambre
Dans sa balade confinée, De Maistre décrit successivement son lit, « meuble délicieux », « théâtre qui prête à l’imagination », nettoie le cadre qui renferme le ravissant portrait d’une femme autrefois désirée, rapporte son dialogue avec son domestique, décrit sa chienne Rosine dont l’affection lui semble plus sincère que celle de nombreux amis qui se sont détournés de lui. Notre noble prend ainsi « des leçons d’humanité de (son) domestique et de (son) chien. »
Xavier de Maistre est un homme de culture et peut donc disserter sur la musique de son temps, sur le talent du peintre Raphaël. Mais c’est surtout en frôlant sa bibliothèque qu’il peut décliner sa culture classique, depuis le « Paradis perdu » de Milton jusqu’aux personnages de Virgile. Un rêve lui permet même de faire dialoguer Platon, Périclès et Aspasie qui se moquent des étranges coutumes des femmes et des hommes des Lumières. Mais l’auteur du Voyage… ne se laisse pas impressionner par ces augustes critiques et y fait montre des curiosités des lettrés de son temps, comme la lecture des voyages de Cook qui conduisent bien plus loin que les murs de sa chambre turinoise.
Il doit pourtant la quitter un jour. Et ce jour-là, après quarante-deux nuits sans pouvoir en sortir, Xavier de Maistre célèbre les vertus de l’imagination, qu’il doit pourtant abandonner pour retourner aux affaires.
Se penser comme individu
Ce texte ironique et léger est une parodie des récits de voyage qui ont remporté tant de succès avant la Révolution. Mais ce n’est sûrement pas la raison principale de son succès au XIXème siècle. Promeneur solitaire, Rousseau avait accompagné la naissance du moi au XVIIIème. Promeneur en chambre, Xavier de Maistre choisit un autre chemin pour conduire au même but : se penser comme un individu.
Pourquoi le lire encore aujourd’hui, alors qu’une bonne part des références convoquées et que le contexte des guerres révolutionnaires et de la chute de l’ancienne aristocratie, qui conduira de Maistre à s’engager pour le Tsar, nous échappent ?
Parce que ce livre court est disponible gratuitement dans ses éditions anciennes depuis chez nous sur le site de la BNF, Gallica.
Parce qu’il nous dit combien nous ne regardons plus notre décor quotidien, attiré par un monde extérieur constamment en expansion.
Parce que, malgré l’aristocratisme distant et désagréable parfois de son auteur, malgré la description d’un monde disparu, fait de domestiques et de duels, il nous rappelle que « le plaisir qu’on trouve à voyager dans sa chambre est à l’abri de la jalousie inquiète des hommes ».
Pour écouter la lecture de son ouvrage « Voyage autour de ma chambre :
La présentation de ces auteurs a suscité au sein de notre assemblée de nombreux échanges. Puis le moment de la scène ouverte a donné l’occasion à certains d’entre nous de lire des textes composés ou découvert lors de lecture pendant le confinement.
Clément Homo nous a proposé quelques citations choisies :
« La poésie ne doit pas périr. Car alors, où serait l’espoir du Monde. »
Léopold Sédar Senghor.
« Un grain de poésie suffit à parfumer tout un siècle. »
José Marti.
« Elle était peu jolie, en somme, selon les règles européennes de l’esthétique. Mais elle était belle. Tous ses traits offraient une harmonie raphaélique dans la rencontre des courbes et sa bouche avait été modelée par un sculpteur qui parle toutes les langues de la pensée et du baiser, de la joie et de la souffrance. Et je lisais en elle la peur de l’inconnu, la mélancolie de l’amertume mêlée au plaisir, et ce don de la passivité qui cède apparemment et, somme toute, reste dominatrice. »
Paul Gauguin.
« J’ai jeté une bombe de couleurs pour satisfaire ma volonté de détruire, de désobéir, afin de recréer un monde sensible, vivant et libéré. »
Maurice Vlaminck.
« Si, quand tu seras un homme, tu connais ces deux choses : la poésie et la science d’éteindre les plaies, alors tu seras un homme. »
Jean Giono.
« En somme, un poète essaye de mettre sa nuit sur la table. »
Jean Cocteau.
Pascale Badré-Neveu nous a bouleversé à la lecture d’un de ses poèmes.
Reste,
Le silence a tué tout espoir de mots, et il en est mieux ainsi.
Que la violence violée de trop de maux
Se taise elle aussi. Ma haine a achevé de casser les débris de vers
Qui me restaient de toi…
Ecrire les lettres dans le sillon de la fente de l’âme
Majuscule, pleine d’encre sous un masque déchiré.
Encore des syllabes désarticulées et prisonnières de mon cou nu
Où pend le collier du bonheur d’un nœud coulant
De larmes mortelles et invisibles.
Mon corps a tenté en vain de retenir ta main
Et ta conscience, mais ta démence
A chassé la cadence de nos rêves voyageurs
Et l’éclat de la Beauté,
En un mont de Piété, piétiné de débris de verres
Qui me restent de toi…
Tu y marches pieds nus devant ton enfant attendu
Talon d’Achille fendu !
Escalade scalpée entre pierre et papier, os et poussière…
Je jette la chaux vive pour couvrir nos regards
Sur la métaphore du monde qui envahit l’espace du futur
Et qui nous ponctue l’invisible poème vers ce
Qui me restera de toi ?
Hélène Blanchet nous a offert un cliché matinal, un instantané offert au regard des mots :
Évanescentes, ces statues immaculées,
Albâtre taillé par l’imagination fertile,
Inventent, alanguies, des danses immobiles
Donnant vie aux ciels de cobalt délavé.
Léonard Ternois nous a fait partagé sa découverte du « Journal de l’Abbé Mugnier 1879-1939″, publié par les éditions du Mercure de France, un extrait de ce dernier consacré à Renée Vivien :
« 1913
8 janvier
Diné, hier, chez la duchesse de Rohan. Monsieur Drouin, officier colonial, m’a entrepris tout de suite à l’endroit de Renée Vivien qu’il a très bien connue. Et il m’a dit, à son sujet, des choses fort intéressantes. Renée Vivien, de son vrai nom Pauline Tarn, d’une famille anglaise, une femme blonde, irréelle. Un être unique.Elle aima une jeune fille qui mourut.Et ce fut sa première douleur.Cet amour avait été très pur.Une américaine voulut la consoler et cette seconde affection tourna au péché. Vivien, antiphysique. Elle fut aimée ainsi d’un très grand nombre. L’Américaine (non pas la première) la payait 100 000 francs par an et plus peut-être. Drouin m’a dit et répété qu’il n’avait pas connu de nature plus élevée que celle de Renée Vivien et en même temps plus éclaboussée de boue. Elle avait le dégoût d’elle. Elle essaya de se suicider, de se laver dans la mort. Elle était satanique. Elle était une révoltée. Elle avait, avenue du Bois, un intérieur très beau, des jades, des laques, beaucoup d’art chinois. Elle vivait à part, Maurice Barrès lui écrivit, demandant à la voir. Elle déchira la lettre et ne le vit pas. Elle se laissa mourir. Un prêtre l’amena au catholicisme, dans les tout derniers temps. Elle est enterrée au petit cimetière de Passy. «
Pour découvrir cet ouvrage et son auteur, cet article de Ghislain de Diesbach auteur de L’Abbé Mugnier : le Confesseur du Tout Paris, publié aux éditions Perrin en 2003 vous y aidera ainsi que l’article que Wikipédia lui consacre :
ARTICLE SUR LE JOURNAL DE L’ABBE MUGNIER
https://fr.wikipedia.org/wiki/Arthur_Mugnier
Léonard nous nous a également lu le poème Empreinte d’Anna de Noailles :
L’empreinte
Je m’appuierai si bien et si fort à la vie,
D’une si rude étreinte et d’un tel serrement,
Qu’avant que la douceur du jour me soit ravie
Elle s’échauffera de mon enlacement.
La mer, abondamment sur le monde étalée,
Gardera, dans la route errante de son eau,
Le goût de ma douleur qui est âcre et salée
Et sur les jours mouvants roule comme un bateau.
Je laisserai de moi dans le pli des collines
La chaleur des mes yeux qui les ont vu fleurir,
Et la cigale assise aux branches de l’épine
Fera vibrer le cri strident de mon désir.
Dans les champs printaniers la verdure nouvelle,
Et la gazon touffu sur le bord des fossés
Sentiront palpiter et fuir comme des ailes
Les ombres de mes mains qui les ont tant pressés.
La nature qui fut ma joie et mon domaine
Respirera dans l’air ma persistante ardeur,
Et sur l’abattement de la tristesse humaine
Je laisserai la forme unique de mon cœur . . .
Ce texte lui a inspiré la « réponse » que voici :
Tu laisseras de toi dans le pli des collines
La chaleur de tes yeux qui les ont vu fleurir
Et la cigale assise aux branches de l’épine
Fera crier le cri strident de ton désir.
L’oppressante douleur t’empêche de rêver
Mais ton coeur sans faillir contre toute amertume
Ne cesse de vivre, de chercher, de trouver
La plage où ton regard s’éveille dans l’écume.
Notre réunion s’est terminée par le traditionnel verre de l’amitié, nourri des agapes offertes par les participants. Chacun repartant vers l’été avec, épinglé à l’âme, des images exhumées de la mémoire littéraire et des mots offerts dans une émotion partagée.